dimanche 27 janvier 2008

La chronique de Philippe Gaberan. Nouvelles technologies, pédagogies anciennes.

Je ne vois pas grand-chose,
c'est pourquoi je suis un expert !

Que le rapport Attali contienne quelques incongruités ou pire encore qu’il fasse la preuve de la méconnaissance de ses membres de quelques sujets prétendument abordés illustre malheureusement une banalité des temps présents : la médiocratie des experts désignés par le Pouvoir.

Dans Les carrefours du labyrinthe VI, le philosophe Cornélius Castoriadis avertissait déjà d’une terrible montée de l’insignifiance et d’une forme de crétinisation des politiciens, plus préoccupés de leurs intérêts privés que de défendre la « chose publique » (la res publica). Ce n’est pas la première fois que Jacques Attali récupère sans les comprendre des concepts appartenant à d’autres que lui ; il avait déjà fait le coup avec celui de « nomade » emprunté à Gilles Deleuze et qu’il galvaudait par une application non réfléchie à toutes les nouvelles technologies. « Du travail de cochon » disait Gilles Deleuze, très critique, à l’égard des « nouveaux philosophes » (cf. François Dosse, Deleuze-Guattari, biographie croisée). Du travail de cochon car la complexité s’accorde mal avec la facilité et l’immédiateté. Il y a bien un lien entre technologie et pédagogie mais c’est un lien très ancien.

Dans la longue histoire de l’humanité, le surgissement de l’Internet n’est que le visage actuel du progrès, tout comme l’imprimerie hier et l’écriture avant hier ; le progrès venant alors faire événement à un moment particulier de l’histoire et bousculer l’homme dans ses certitudes et ses repères. A ce propos, il faut absolument aller écouter la conférence de Michel Serres, mise en ligne, sur le rapport entre savoirs et technologies. Il y affirme clairement comment les nouvelles technologies ne font que se réapproprier, à leur façon, des principes pédagogiques très anciens ; en revanche, il y affirme aussi comment ce nouvel outil qu’est l’Internet transforme une fois encore de façon radicale le rapport à l’espace et au droit.

Si Nicolas Sarkozy avait voulu demander à Jacques Attali de faire preuve d’intelligence c’est de ce côté-là qu’il aurait fallu que ce dernier aille creuser ; du côté de l’impact sur nos sociétés de l’émergence du réseau et des communautés d’apprentissage. Le chercheur comme l’élève n’a plus à travailler seul pour faire avancer le savoir et la propriété intellectuelle n’est plus l’affaire d’un seul, élève ou chercheur, mais désormais le fruit d’un labeur collectif. Mais au lieu d’aller vers ces innovations là, Attali préconise de « construire des pôles d’excellence » et d’ériger de « nouvelles cathédrales du savoir » ou de nouvelles pyramides élevées à la gloire des Saigneurs de la terre et des Maîtres du monde. Ce rapport en dit long sur le conservatisme qui s’empare à nouveau de nos gouvernants… Il ne propose rien pour l’avenir du plus grand nombre.


Image dans son contexte original, sur la page www.ouaknine.fr/lilli.htm

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